Page:Nietzsche - Considérations Inactuelles, II.djvu/266

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pourront encore tirer profit. Moi-même, tel que je suis disposé aujourd’hui, je souhaiterais que tout cela fût dit d’une façon plus patiente et aussi plus cordiale et plus délicate. Dans l’intervalle, j’ai trop deviné la douloureuse et épouvantable tragédie cachée derrière la vie de l’homme qu’était Richard Wagner.

4.

Négligeons momentanément la question de savoir quelle valeur Richard Wagner peut avoir et aura encore pour celui qui n’est pas musicien. Incontestablement Wagner a donné aux Allemands de cette époque l’idée la plus large de ce que pourrait être un artiste : le respect que l’on doit à l’artiste a grandi soudain jusqu’à des proportions démesurées ; partout il a soulevé de nouvelles évaluations, de nouveaux désirs, de nouveaux espoirs ; le caractère même de son œuvre d’art, seulement promise, incomplète et imparfaite, n’y eut peut-être pas la moindre part. Qui donc n’a pas appris à son école ? Non pas directement, ainsi qu’ont fait les exécutants et les hommes à attitudes, de toutes espèces, mais indirectement, « à l’occasion de Richard Wagner », comme on pourrait dire. Même les problèmes de la connaissance philosophique ont été puissamment influencés par son œuvre, il n’y a à cela aucun doute. Il y a aujourd’hui une foule de questions esthétiques dont avant Wagner même les gens les plus subtils n’avaient pas le flair — avant tout le problème du comédien et des rapports de celui-ci avec les différents arts, pour ne point parler des problèmes psychologiques, tels que le caractère et l’art de Wagner les font naître en quantité. Il faut concéder cependant que, pour autant qu’il s’aventure lui-même sur le terrain de la connaissance, loin de mériter des éloges, il est digne de la réprobation la plus absolue ; c’est en intrus aussi immodeste et maladroit qu’il pénètre dans les jardins de la science, et la façon dont Wagner se met à « philosopher »