Page:Nietzsche - Considérations inactuelles, I.djvu/153

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instincts vitaux. Pour nous servir d’une image un peu audacieuse, nous dirions que l’arbre sent ses racines plutôt qu’il ne les voit, mais que ce sentiment doit évaluer la dimension des racines, d’après la dimension et la force des branches qui sont visibles. Et si, dans cette évaluation, l’arbre peut se tromper, combien plus il se trompera, s’il veut juger de la forêt tout entière qui l’entoure, de cette forêt qu’il ne connaît et sent que pour autant qu’elle l’entrave ou le fait avancer — et non point autrement. Le sens antiquaire d’un homme, d’une cité, d’un peuple tout entier est toujours limité à un horizon très restreint. Il ne saurait percevoir les généralités et le peu qu’il voit lui apparaît de trop près et d’une façon isolée. Il est incapable de s’en tenir aux mesures et à cause de cela il accorde à tout une égale importance et à chaque détail une importance trop grande. Alors, pour les choses du passé, les différences de valeur et les proportions n’existent plus, qui sauraient rendre justice aux choses, les unes par rapport aux autres ; les mesures et les évaluations des choses ne se font plus que par rapport à l’individu ou au peuple qui veut regarder en arrière, au point de vue antiquaire. Il y a toujours un danger qui est tout près. Tout ce qui est ancien, tout ce qui appartient au passé et que l’horizon peut embrasser, finit par être considéré comme également vénérable ; par contre, tout ce qui ne reconnaît pas le caractère vénérable