Page:Nietzsche - Considérations inactuelles, I.djvu/231

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un temps où l’on ne considérera plus les masses, mais où l’on reviendra aux individus, aux individus qui forment une sorte de pont sur le sombre fleuve du devenir. Ce n’est pas que ceux-ci continuent le processus historique, ils vivent au contraire en dehors des temps, contemporains en quelque sorte, grâce à l’histoire qui permet un tel concours, ils vivent comme cette « république des génies » dont parle une fois Schopenhauer ; un géant en appelle un autre, à travers les intervalles déserts des temps, sans qu’ils se laissent troubler par le vacarme des pygmées qui grouillent à leurs pieds, ils continuent leurs hautains colloques d’esprits. C’est à l’histoire qu’appartient la tâche de s’entremettre entre eux, de pousser toujours à nouveau à la création des grands hommes, de donner des forces pour cette création. Non, le but de l’humanité ne peut pas être au bout de ses destinées, il ne peut s’atteindre que dans ses types les plus élevés.

Il est vrai qu’à cela notre joyeux personnage répond, avec cette dialectique admirable qui est aussi vraie que ses admirateurs sont admirables : « Tout aussi peu qu’il y aurait harmonie avec l’idée de l’évolution si l’on attribuait au processus universel une durée infinie dans le passé, parce que alors toute évolution imaginable aurait déjà été parcourue — ce qui n’est pas le cas (ah le coquin !) — tout aussi peu nous pouvons concéder au processus une durée