Page:Nietzsche - Considérations inactuelles, I.djvu/26

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revenus, à ses habitudes — c’est-à-dire à tout ce qui chez le philistin est sérieux — un pareil art lui fait détourner les yeux, comme s’il se trouvait en présence de quelque chose d’impudique, et, avec des airs de gardien de la chasteté, y prévient la vertu qu’il faut protéger de n’y point porter les regards.

S’il montre tant d’éloquence à déconseiller, il est reconnaissant à l’artiste qui l’écoute et se laisse déconseiller. Il donne à entendre à l’artiste qu’on lui rendra la vie facile, qu’on ne lui demandera pas des chefs-d’œuvre sublimes, mais seulement deux choses : soit l’imitation de la réalité jusqu’à la singerie, dans des idylles, et dans des satires douces et pleines d’humour, soit de libres imitations d’après les œuvres des classiques les plus connus et les plus réputés, avec cependant une timide complaisance à l’égard du goût du jour. Car s’il n’apprécie que la copie minutieuse ou la fidélité photographique dans la représentation du présent, il sait que cette fidélité le glorifiera lui-même et augmentera le plaisir que procure la « réalité », tandis que la copie des modèles classiques ne lui nuira point et sera même favorable à sa réputation d’arbitre du goût traditionnel. Et, du reste, il n’en aura point de soucis nouveaux, car il s’est déjà mis d’accord avec les classiques, une fois pour toutes. En fin de compte, il inventera encore pour aider ses habitudes, ses jugements, ses antipathies et ses