Page:Nietzsche - Considérations Inactuelles, II.djvu/263

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allusions à Wagner. Quand Parsifal fut exécuté pour la première fois à Bayreuth en 1882, Nietzsche séjournait non loin de là, à Trautenburg. Fut-il tenté de refaire le pèlerinage qui en 1876 lui avait procuré une si amère désillusion ? En tous les cas, il s’intéressa à la représentation et trouva tout naturel que sa sœur voulût y assister. Le 25 juillet il écrivait à son ami le musicien Peter Gast : « Dimanche j’ai été à Nauenbourg pour préparer un peu ma sœur à l’audition de Parsifal… » Et, tandis qu’il travaille la partition, des réminiscences lui viennent. « J’avoue qu’avec une véritable terreur je me suis de nouveau rendu compte à quel point je suis parent de Wagner… Vous entendez-bien, cher ami, que, par là je ne veux pas louer Parsifal ! Quelle soudaine décadence ! Quels tours à la Cagliostro ! »

Mais Nietzsche ne pouvait se dérober complètement au charme de la musique wagnérienne. Adversaire par principe des idées de Wagner, il reste l’admirateur du grand artiste qu’il avait aimé. Il échappe aux séductions de Kundry, mais le magicien Wagner captive encore ses sens.

Une curieuse lettre écrite de Nice, en date du 21 janvier 1887, au même Peter Gast, enregistre cette impression :

Dernièrement j’ai entendu pour la première fois (à Monte-Carlo) le prélude de Parsifal. Quand je vous reverrai je veux vous dire exactement ce que j’ai compris. En faisant abstraction de toutes les questions déplacées (à quoi peut servir une pareille musique, à quoi elle doit servir), et si l’on se place à un point de vue purement esthétique, on ne peut se demander si Wagner a jamais fait quelque chose de meilleur. La plus haute conscience psychologique, par rapport à ce qui doit être dit, se trouve exprimée et communiquée ici ; la forme la plus brève et la plus directe de cette conception ; chaque nuance du sentiment poussée jusqu’à l’épigramme ; une précision de la musique, en tant qu’art descriptif, qui fait songer à un écusson travaillé en relief ; et, en fin de compte, un sentiment sublime et extraordinaire, un événement de l’âme placé au fond de la musique dont Wagner peut tirer le plus grand honneur ; une synthèse d’émotions qui pour beaucoup d’hommes, même d’ « hommes supérieurs », pourraient sembler incompatibles ; une sévérité justiciaire, une « élévation » au sens effrayant du mot, une compréhension et une pénétration qui sectionne l’âme comme avec un couteau — et encore : de la compassion avec ce que l’artiste aperçoit et juge. Il y a des choses semblables chez le Dante et nulle part ailleurs. Un peintre a-t-il jamais peint un regard d’a-