pris la valeur d’une erreur ; il n’a plus le droit de
louer, ni de blâmer, car il ne rime à rien de louer
et de blâmer la nature et la nécessité. De même
qu’il aime une belle œuvre, mais ne la loue pas,
parce qu’elle ne peut rien par elle-même ; tel il est
devant une plante, tel il doit être devant les actions
des hommes, devant les siennes propres. Il peut en
admirer la force, la beauté, la plénitude, mais il ne
lui est pas permis d’y trouver du mérite : le phénomène chimique et la lutte des éléments, les tortures
du malade qui a soif de guérison sont juste autant
des mérites que ces luttes et ces détresses de l’âme
où l’on est tiraillé par divers motifs en divers sens,
jusqu’à ce qu’enfin on se décide pour le plus puissant — comme on dit (mais en réalité, jusqu’à ce
que le plus puissant décide de nous). Mais tous
ces motifs, quelque grands noms que nous leur
donnions, sont sortis des mêmes racines où nous
croyons que résident les poisons malfaisants ;
entre les bonnes et les mauvaises actions, il n’y a
pas une différence d’espèce, mais tout au plus de
degré.Les bonnes actions sont de mauvaises actions
sublimées : les mauvaises actions sont de bonnes
actions grossièrement, sottement accomplies. Un
seul désir de l’individu, celui de la jouissance de
soi-même (uni à la crainte d’en être frustré), se satisfait dans toutes les circonstances, de quelque
façon que l’homme puisse, c’est-à-dire doive agir ;
que ce soit en actes de vanité, de vengeance, de
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HUMAIN, TROP HUMAIN