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HUMAIN, TROP HUMAIN


Le soleil d’un Évangile nouveau jette son premier rayon sur les plus hauts sommets dans les âmes de ces isolés : là les nuages s’accumulent plus épais que partout ailleurs, et côte à côte règnent la clarté la plus pure et le plus sombre crépuscule. Tout est nécessité — ainsi parle la science nouvelle : et cette science elle-même est nécessaire. Tout est innocence : et la science est la voie qui mène à pénétrer cette innocence. Si la volupté, l’égoïsme, la vanité sont nécessaires à la production des phénomènes moraux et de leur floraison la plus haute, le sens de la vérité et de la justice de la connaissance ; si l’erreur et l’égarement de l’imagination a été l’unique moyen par lequel l’humanité pouvait s’élever peu à peu à ce degré d’éclairement et d’affranchissement de soi-même — qui oserait être triste d’apercevoir le but où mènent ces chemins ? Tout dans le domaine de la morale est modifié, changeant, incertain, tout est en fluctuation, il est vrai : mais aussi tout est en cours : et vers un seul but. L’habitude héréditaire des erreurs d’appréciation, d’amour, de haine, a beau continuer d’agir en nous, sous l’influence de la science en croissance elle se fera plus faible : une nouvelle habitude, celle de comprendre, de ne pas aimer, de ne pas haïr, de voir de haut, s’implante insensiblement en nous dans le même sol et sera, dans des milliers d’années, peut-être assez puissante pour donner à l’humanité la force de produire l’homme sage, innocent (ayant conscience