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HUMAIN, TROP HUMAIN


fois c’était l’opposé : si nous songeons aux états grossiers et primitifs des peuples ou si nous voyons de près les sauvages actuels, nous les trouvons déterminés de la manière la plus forte par la loi, la tradition : l’individu y est lié presque automatiquement et se meut avec la régularité d’une pendule. Pour lui la nature — l’inconcevable, la terrible, la mystérieuse nature — doit apparaître comme l’empire de la liberté, de l’arbitraire, de la puissance supérieure, même absolument comme un degré de l’être au-dessus de l’homme, comme Dieu. Mais alors chaque individu, dans des temps et des états pareils, sent que son existence, son bonheur, celui de sa famille, de l’État, le succès de toutes les entreprises, dépendent de ces caprices de la nature : quelques phénomènes naturels doivent se produire en temps opportun, d’autres en temps opportun manquer. Comment exercer une influence sur ces effrayants inconnus, comment lier l’empire de la liberté ? Voilà ce qu’on se demande, ce qu’on cherche anxieusement : n’y a-t-il donc pas de moyens de rendre ces puissances aussi réglées par une tradition et une loi, que tu es réglé toi-même ? — La réflexion des hommes qui croient à la magie et au miracle aboutit à imposer une loi à la nature et, pour parler bref, le culte religieux est le résultat de cette réflexion. Le problème que ces hommes se proposent est, de la façon la plus étroite, apparenté à celui-ci : comment la race plus faible peut-elle dicter