capable d’enchaîner l’esprit, de lui faire tort, de
l’anéantir ; l’élément corporel donne la prise avec
laquelle on peut saisir le spirituel. De même donc
que l’homme influence l’homme, de même il influence aussi un esprit de la nature quelconque ; car
celui-ci aussi a son élément corporel, par où il est
à saisir. L’arbre et, comparé avec lui, le germe
dont il est sorti, — ce parallèle énigmatique semble prouver que dans l’une et l’autre forme un seul
et même esprit s’est incorporé, tantôt petit, tantôt
grand. Une pierre qui roule soudain est le corps
dans lequel agit un esprit ; si sur une plaine isolée
se trouve un bloc énorme, il paraît impossible de
penser à une force humaine qui l’aurait transporté
là, c’est donc la pierre qui s’est amenée de son mouvement propre, autrement dit : il fautqu’elle donne
asile à un esprit. Tout ce qui a un corps est accessible à l’enchantement, partant aussi les esprits de
la nature. Si un dieu est directement lié à son
image, on peut donc aussi exercer contre lui une
contrainte tout à fait directe (en refusant de le
nourrir par les sacrifices, en le flagellant, en le
mettant aux liens, etc.). Les petites gens en Chine,
pour arracher la faveur de leur dieu qui leur fait
défaut, attachent avec des chaînes l’image de celui
qui les a abandonnés, la mettent en pièces, la
traînent par les rues à travers les amas de fumier
et d’ordures. « Chien d’esprit, disent-ils, nous t’avons fait habiter un temple magnifique, nous t’a-
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HUMAIN, TROP HUMAIN