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HUMAIN, TROP HUMAIN


incomparable et d’étrangement surnaturel : c’est par là qu’il s’assura cette force extraordinaire avec laquelle il put s’imposer à l’imagination de peuples entiers, d’époques entières. Lui-même ne se connaissait point ; lui-même entendait le livre de ses tendances, de ses inclinations, de ses actions, selon un art d’interprétation aussi affecté et aussi artificiel que l’interprétation pneumatique de la Bible. Ce qu’il y avait de contourné et de morbide dans sa nature, avec son amalgame de pauvreté d’esprit, de méchant savoir, de santé gâtée, de nerfs exaspérés, restait aussi caché à son regard qu’à celui de son spectateur. Il n’était pas un homme particulièrement bon, encore moins un homme particulièrement sage : mais il signifiait quelque chose qui dépassait la mesure humaine en bonté et en sagesse. La foi en lui soutenait la foi au divin et au merveilleux, à un sens religieux de toute existence, à un dernier jour de jugement qui était imminent. Dans l’éclat vespéral du soleil d’un monde finissant, qui rayonnait sur les peuples chrétiens, l’ombre du saint grandissait en des proportions énormes : et même jusqu’à une hauteur telle que même dans notre temps, qui ne croit plus en Dieu, il y a encore des penseurs qui croient aux saints.

144.

Il va de soi qu’à ce crayon du saint, qui est esquissé d’après la moyenne de l’espèce tout entière,