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HUMAIN, TROP HUMAIN


natures extrêmes attirent bien trop l’attention ; mais l’existence d’une culture moindre est aussi nécessaire, pour se laisser attacher par elles. Les hommes se soumettent d’habitude à tout ce qui veut avoir de la puissance.

261.

Les tyrans de l’esprit. — Là seulement où tombe le rayon du mythe, la vie des Grecs a de l’éclat ; autrement elle est sombre. Or, les philosophes grecs se privent justement de ce mythe : n’est-ce pas comme s’ils voulaient se retirer du soleil pour se mettre à l’ombre dans l’obscurité ? Mais il n’y a pas de plante qui se détourne de la lumière ; au fond, ces philosophes ne faisaient que chercher un soleil plus clair, le mythe n’était pas à leurs yeux assez pur, assez éclatant. Ils trouvaient cette lumière dans leur connaissance, dans ce que chacun d’eux appelait sa « Vérité ». Mais alors la connaissance avait encore une splendeur plus grande, elle était jeune encore et connaissait encore peu les difficultés et les périls de sa route ; elle pouvait alors espérer encore arriver d’un seul bond au centre de tout l’être et de là résoudre l’énigme du monde. Ces philosophes avaient une robuste foi en eux-mêmes et en leur « vérité », avec laquelle ils tombaient tous leurs voisins et leurs devanciers ; chacun d’eux était un tyran batailleur et violent. Peut-être la félicité que