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HUMAIN, TROP HUMAIN

exceptionnels ; mais, la plupart du temps, ce sont nos fautes, nos faiblesses et nos folies qui empêchent la reconnaissance de nos grandes qualités.

376.

Des amis. — Considère seulement une fois avec toi-même combien sont divers les sentiments, combien partagées les opinions, même entre les connaissances les plus proches ; combien même des opinions semblables ont dans la tête de tes amis une orientation ou une force tout autre que dans la tienne ; de combien de centaines de façons l’occasion vient de se mésentendre, de se fuir réciproquement en ennemis. Après tout cela, tu te diras : Que peu sûr est le sol sur lequel reposent toutes nos liaisons et amitiés, que sont proches les froides averses ou les mauvais temps, que tout homme est isolé! Si un homme s’en rend bien compte, et en outre, de ce que toutes les opinions, et leur espèce et leur force, sont chez ses contemporains aussi nécessaires et irresponsables que leurs actions, s’il acquiert l’œil pour voir cette nécessité intime des opinions sortir de l’indissoluble entrelacs de caractère, d’occupation, de talent, de milieu, — il perdra peut-être l’amertume et l’âpreté de sentiment avec laquelle ce sage[1] s’écriait : « Amis, il n’y a point d’amis ! » Il se fera plutôt cet aveu : Oui, il y a des

  1. Aristote.