motifs, mais exclusivement par les conséquences
utiles ou fâcheuses qu’elles ont pour la communauté. Mais bientôt on oublie l’origine de ces désignations, et l’on s’imagine que les actions en soi,
sans égard à leurs conséquences, enferment la qualité de « bonnes » ou de « mauvaises » : commettant
la même erreur qui fait que la langue désigne la
pierre même comme dure, l’arbre lui-même comme
vert — par conséquent en prenant la conséquence
pour cause. Ensuite on reporte le fait d’être bon ou
mauvais aux motifs, et l’on considère les actes en
soi comme moralement indifférents. On va plus
loin, et l’on donne l’attribut de bon ou de mauvais
non plus au motif isolé, mais à l’être tout entier d’un
homme, lequel produit le motif comme le terrain
produit la plante. Ainsi l’on rend successivement
l’homme responsable de son influence, puis de ses
actes, puis de ses motifs, enfin de son être. Alors on
découvre finalement que cet être lui-même ne peut
être responsable, étant une conséquence absolument
nécessaire et formée des éléments et des influences
d’objets passés et présents : partant, que l’homme
n’est à rendre responsable de rien, ni de son être,
ni de ses motifs, ni de ses actes, ni de son influence. On est ainsi amené à reconnaître que l’histoire des appréciations morales est aussi l’histoire d’une erreur, de l’erreur de la responsabilité : et
cela, parce qu’elle repose sur l’erreur du libre arbitre. — Schopenhauer opposait à cela le raison-
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HUMAIN, TROP HUMAIN