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OPINIONS ET SENTENCES MÊLÉES

de sa vie ou le penchant néfaste de son caractère, en renonçant héroïquement ou en changeant de vie ; l’homme richement doué qui a de lui-même trop haute opinion pour être utile par une activité modeste, et qui est trop paresseux pour un grand travail désintéressé ; la jeune fille qui ne sait pas se créer un cercle de devoirs assez étendu ; la femme qui s’est liée par un mariage léger ou criminel et qui ne se sait pas assez liée ; le savant, le médecin, le commerçant, le fonctionnaire qui s’est spécialisé trop tôt et n’a jamais laissé libre cours à toute sa nature, mais qui, à cause de cela, accomplit son travail, d’ailleurs excellent, avec un ver rongeur au cœur ; et enfin tous les artistes incomplets : — ce sont là tous ceux qui ont aujourd’hui encore de véritables besoins d’art ! Et qu’exigent-ils en somme de l’art ? Il doit chasser chez eux, pendant quelques heures ou quelques instants, le malaise, l’ennui, la conscience vaguement mauvaise, et interpréter, si possible, dans un sens élevé, le défaut de leur vie et de leur caractère, pour le transformer en un défaut dans la destinée du monde, — très différents des Grecs qui voyaient, dans leur art, l’expansion de leur propre bien-être et de leur propre santé, et qui aimaient à voir leur propre perfection, encore une fois, en dehors d’eux-mêmes : — ils ont été conduits à l’art par le contentement d’eux-mêmes, nos contemporains y sont venus — par le dégoût d’eux-mêmes.

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Les Allemands au théâtre. — Le véritable talent