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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

les Grecs montrent ce sens merveilleux des réalités typiques qui les rendit capables, plus tard, de devenir des savants, des historiens, des géographes et des philosophes. Ce n’était pas une loi morale, dictée par les prêtres et les castes, qui avait à décider de la constitution de l’État et du culte de l’État, mais l’égard universel à la réalité de tout ce qui est humain. — D’où, les Grecs tiennent-ils cette liberté, ce sens pour le réel ? Peut-être d’Homère et des poètes qui l’ont précédé ; car ce sont précisément les poètes, dont la nature n’est généralement pas des plus justes et des plus sages, ce sont les poètes qui ont en propre ce goût du réel, de l’effet sous toutes leurs formes, et ils n’ont pas la prétention de nier complètement le mal : il leur suffit de le voir se modérer, renonçant à vouloir tout massacrer ou à empoisonner les âmes — ce qui veut dire qu’ils sont du même avis que les fondateurs d’États en Grèce et qu’ils ont été les maîtres et les précurseurs.

221.

Grecs exceptionnels. — En Grèce, les esprits profonds et sérieux étaient les exceptions : l’instinct du peuple tendait, au contraire, à considérer plutôt ce qui est sérieux et profond comme une espèce de déformation. Emprunter les formes à l’étranger, non point les créer, mais les transformer jusqu’à leur faire revêtir la plus belle apparence — c’est cela qui est grec : imiter, non pour utiliser, mais pour créer l’illusion artistique, se rendre mattre toujours à nouveau du sérieux imposé,