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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

culte et de la pudeur religieuse, ont dû y habituer et y rendre accessible l’imagination humaine : mais quand des dispositions plus pieuses et des moments de ferveur venaient à prédominer de nouveau, cette influence libératrice des poètes s’amoindrissait et la sainteté demeurait, avant comme après, à l’épouvantable et à l’inquiétant, à ce qui est véritablement inhumain. Cependant, la fantaisie intérieure sait imaginer bien des choses qui, extériorisées en représentations corporelles, ne manqueraient pas de faire un effet pénible : c’est que l’œil intérieur est beaucoup plus audacieux et bien moins pudique que l’œil extérieur (d’où provient cette difficulté bien connue, cette presque impossibilité de transformer des sujets épiques en drames). Longtemps l’imagination religieuse ne veut croire à aucun prix à l’identité du dieu avec une image : l’image doit faire paraître le noumène de la divinité, actif et lié à un lieu d’une façon quelconque, mystérieuse et difficilement imaginable. La plus ancienne image divine doit abriter le dieu et, en même temps, le cacher, — en indiquer la présence, mais non point l’exposer. Jamais, dans son for intérieur, un Grec n’a considéré son Apollon comme une colonne de bois, son Éros comme une masse de pierre : c’étaient là des symboles qui devaient précisément faire peur de la figuration sensible. Il en est encore de même de certains bois dont on sculptait grossièrement les membres, parfois en exagérant le nombre de l’un ou de l’autre : c’est ainsi qu’un Apollon laconien avait quatre mains et quatre oreilles. Dans l’in-