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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

tenant… après cet adieu ; comment pourrait-on continuer à vivre sans devenir fou ! » — Ces deux erreurs fondamentales de sa vie donnèrent à Gœthe, en face d’une prise en considération purement littéraire de la poésie, telle que le monde la connaissait seul alors, une attitude si libre de toute prévention et presque arbitraire. Sauf l’époque où Schiller — le pauvre Schiller qui n’avait pas le temps et ne laissait pas de temps — le fit sortir de cette farouche abstinence devant la poésie, de cette crainte de tout esprit et de tout métier littéraire, — Goethe apparaît comme un Grec qui visite de temps en temps une bien-aimée, sans savoir au juste si ce n’est pas peut-être une déesse à qui il ne sait pas donner son nom véritable. Toute son œuvre poétique se ressent de cet effleurement intime de la nature : les traits de ses fantômes qui s’agitaient devant ses yeux — et peut-être crut-il toujours être sur les traces des métamorphoses d’une déesse — devinrent involontairement, chez lui, les traits de tous les enfants de son art. Sans le détour de l’erreur il ne serait pas devenu Gœthe : c’est-à-dire le seul Allemand, artiste du verbe, qui ne soit pas encore vieilli aujourd’hui,— parce qu’il voulait être aussi peu écrivain qu’Allemand par métier.

228.

Les voyageurs et leurs degrés. — Il faut distinguer cinq dégrés parmi les voyageurs : ceux du premier degré, qui est le degré inférieur, sont les voyageurs que l’on voit, — à vrai dire on les voyage et ils sont aveugles en quelque sorte ; les sui-