Page:Nietzsche - Humain, trop humain (2ème partie).djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
268
HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

pas si nous devons fuir ou jouir du moment béni et de l’avantage qui nous est donné en grâce. Dans toute honte il y a un mystère qui est profané par nous ou qui semble être en danger d’être profané ; toute grâce engendre la honte. — Mais si l’on considère que, d’une façon générale, nous n’avons jamais rien « mérité », pour le cas où l’on s’abandonnerait à cette idée dans le cercle des conceptions chrétiennes, le sentiment de honte deviendrait habituel : parce qu’alors Dieu semblerait bénir sans cesse et exercer sa grâce. Mais, abstraction faite de cette interprétation chrétienne, cet état de honte habituelle serait encore possible pour le sage, totalement impie, qui soutient la foncière irresponsabilité et l’absence de mérite dans toute action et dans toute organisation : si on le traite comme s’il avait mérité telle ou telle chose, il semble être introduit dans un ordre supérieur d’êtres qui d’une façon générale méritent quelque chose, qui sont libres et vraiment capables de porter la responsabilité de leur vouloir et de leur pouvoir. Celui qui dit à ce sage : « tu l’as mérité » semble l’apostropher ainsi : « tu n’es pas un homme, mais un Dieu ».

70.

L’éducateur le plus maladroit. — Chez celui-ci toutes les vertus véritables sont plantées sur le terrain de son esprit de contradiction ; chez celui-là sur son incapacité de dire non, donc sur son esprit d’approbation ; un troisième a fait grandir toute sa moralité sur sa fierté solitaire, un quatrième la sienne sur son instinct violent de sociabilité. En