Page:Nietzsche - Humain, trop humain (2ème partie).djvu/297

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
297
LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

mot « classique » : il ne viendrait par exemple à l’idée de personne de parler de « classiques allemands ». — Que disent de cela nos libraires allemands qui sont en train d’ajouter aux cinquante classiques allemands, à qui nous devons déjà croire, cinquante nouveaux classiques ? Il semble presque qu’il suffirait simplement d’être mort depuis trente ans et de s’étaler publiquement comme une proie offerte à tous pour entendre soudain la trompette de résurrection qui vous sacre classique ! Et cela dans un temps et au milieu d’un peuple où, des six grands ancêtres de la littérature, cinq sont en train de vieillir incontestablement ou ont même déjà vieilli, — sans que ce temps et ce peuple aient précisément besoin d’avoir honte de cela ! Car ces écrivains ont cédé la place aux forces de ce temps, — il suffit d’y songer en toute équité ! — Comme je l’ai indiqué, je fais abstraction de Gœthe, il appartient à une catégorie supérieure de littératures qui est au-dessus des « littératures nationales » : c’est pourquoi la vie, la nouveauté, la caducité n’entrent pas en ligne de compte dans ses rapports avec sa nation. Il n’a vécu que pour le petit nombre et c’est pour le petit nombre qu’il vit encore : pour la plupart des gens il n’est qu’une fanfare de vanité qu’on souffle de temps en temps au delà des frontières allemandes. Gœthe fut non seulement un homme bon et grand, mais encore une culture. Dans l’histoire des Allemands, il est un incident sans conséquences : qui pourrait par exemple découvrir dans la politique allemande des soixante-dix dernières années une influence