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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

perd vite et qu’on n’y sent plus que le banal et le quotidien.

136.

Cause principale de la corruption du style. — Vouloir montrer plus de sentiment pour une chose qu’on n’en possède réellement détruit le style, dans la langue et dans les arts. Tout grand art possède plutôt le penchant contraire : pareil à tout homme d’une réelle valeur morale, il voudra arrêter le sentiment en route et ne pas le laisser aller tout à fait jusqu’au bout. Cette pudeur de la demi-visibilité du sentiment est, par exemple, le plus admirablement observée chez Sophocle ; et elle semble transfigurer les traits du sentiment, lorsque celui-ci se montre lui-même plus sobre qu’il ne l’est.

137.

Pour excuser les stylistes lourds. — Ce qui est dit légèrement tombe rarement dans l’oreille avec son poids véritable, — mais c’est la faute à l’oreille mal disciplinée, qui, éduquée par ce que l’on a appelé jusqu’à présent la musique, a dû négliger l’école des harmonies supérieures, c’est-à-dire du discours.

138.

Perspective à vol d’oiseau. — Voici des torrents qui se précipitent de plusieurs côtés dans un gouffre : leur mouvement est si impétueux et entraîne l’œil avec tant de force que les versants de