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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

voyage, les airs de danse des auberges de village ou des nuits de Carnaval, voilà les sources d’inspiration où Beethoven découvre ses « mélodies », il les amasse comme une abeille, en saisissant çà et là une note ou une courte suite. Ce sont pour lui des souvenirs transfigurés d’un « monde meilleur » : semblables à ce que Platon imaginait au sujet des idées. — Mozart est dans un rapport tout différent avec ses mélodies : il ne trouve pas ses inspirations en entendant de la musique, mais en regardant la vie, la vie la plus mouvementée des contrées méridionales : il rêvait toujours de l’Italie lorsqu’il n’y était pas.

153.

Récitatif. — Autrefois, le récitatif était sec ; maintenant nous vivons en un temps du récitatif mouillé : il est tombé à l’eau et les vagues l’entraînent où elles veulent.

154.

Musique « sereine ». — Lorsque l’on entend de la musique après en avoir été privé très longtemps, elle passe trop vite dans le sang comme un de ces vins épais du midi et laisse à l’âme une griserie semblable à celle d’un narcotique qui la plonge dans un état de demi-sommeil et de désir ; c’est surtout le cas de la musique « sereine » qui procure en même temps de l’amertume et de la douleur, de la satiété et du mal de pays et qui force à absorber tout cela, sans cesse, comme un doux breuvage empoisonné. Pendant ce temps, la salle où bruit une