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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

toujours de celui qui croit en lui-même ; autrefois croire en soi-même cela suffisait pour que les autres croient également en vous. La recette pour trouver créance aujourd’hui c’est : « Ne te ménage pas toi-même ! Si tu veux que ton opinion soit vue sous un jour favorable, commence par allumer ta propre chaumière » !

320.

Plus riche et plus pauvre, tout à la fois. — Je connais un homme qui, encore enfant, s’était déjà habitué à bien penser de l’intellectualité des hommes, c’est-à-dire de leur véritable penchant pour les objets de l’esprit, de leur goût désintéressé pour les choses reconnues vraies, etc., à avoir par contre une idée très médiocre de son esprit à lui (jugement, mémoire, présence d’esprit, imagination). Il ne s’accordait aucune valeur, lorsqu’il se comparait à d’autres. Mais au cours des années il fut forcé, une fois d’abord, puis cent fois, de changer d’opinion sur ce point, — on pourrait croire que ce fut à sa grande joie et à sa grande satisfaction. En effet, il y avait quelque chose de cela, mais, comme il disait une fois : « Il s’y mêle une amertume de la pire espèce, une amertume que je n’ai pas connue dans les années antérieures : car depuis que j’apprécie les hommes et moi-même, avec plus de justice, par rapport aux besoins intellectuels, mon esprit me paraît moins utile ; avec lui je ne crois plus pouvoir faire œuvre bonne, parce que l’esprit des autres ne s’entend pas à l’accepter : je vois maintenant toujours devant moi l’abîme