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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

dispensant de fournir des preuves, doutant même qu’il lui convienne de prouver, en tant que livre d’initiés, « musique » pour ceux-là, dont la musique fut le baptême, et qui, depuis l’origine des choses, sont unis par le lien commun des connaissances artistiques rares, bannière de ralliement pour des frères de même sang in artibus, — un livre hautain et exalté, dirigé de prime abord plus encore contre le profanum vulgus des « intellectuels » que contre le « peuple », mais qui, par son influence, a prouvé et prouve encore qu’il s’entend assez bien à découvrir ses enthousiastes et à les entraîner à travers le labyrinthe de chemins ignorés jusqu’à de joyeuses arènes. En tout cas, — on dut l’avouer avec étonnement et impatience, — ici parlait une voix étrangère, l’apôtre « d’un dieu encore inconnu », affublé provisoirement de la barrette du savant, caché sous la pesanteur et la morosité dialectique de l’Allemand aggravées du mauvais ton du wagnérien ; il y avait là un esprit rempli d’exigences nouvelles et encore innommées, une mémoire gonflée d’interrogations, d’observations, d’obscurités, auxquelles venait s’ajouter, comme un problème de plus, le nom de Dionysos ; ici parlait, — on le remarqua avec défiance, — quelque chose comme une âme mystique, presque une âme de ménade, qui, tourmentée et capricieuse, et quasi irrésolue, si elle doit se livrer ou se dérober, balbutie en quelque sorte une langue étrangère. Elle