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Page:Nietzsche - L’Origine de la Tragédie.djvu/114

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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

avec la naturelle simplicité des caractères. C’est ainsi qu’assis au théâtre il réfléchissait longuement, impatient et troublé, et il dut s’avouer, lui, le spectateur, qu’il ne comprenait pas ses grands devanciers. Cependant, comprendre étant pour lui la source de toute jouissance et de toute activité productrice, il sentit le besoin d’interroger les autres, de chercher autour de soi si personne ne pensait comme lui et ne s’avouait aussi cette incommensurabilité. Mais la plupart, et aussi les meilleurs de ceux auxquels il s’adressait n’eurent pour lui qu’un sourire méfiant ; aucun ne put lui donner les raisons qui eussent justifié ses doutes et ses objections contre les grands maîtres. Et dans cette angoisse, il rencontra l’autre spectateur, qui ne comprenait pas la tragédie et, pour ce motif, la méprisait. Délivré de son isolement en s’alliant à celui-ci, il put oser entreprendre une guerre monstrueuse contre les œuvres d’art d’Eschyle et de Sophocle — et cela, non pas par des ouvrages de polémique, mais par ses œuvres de poète dramatique opposant sa conception de la tragédie à celle de la tradition.

12.

Avant de nommer cet autre spectateur, arrêtons-nous un instant pour nous rappeler l’impression que nous avons éprouvée tout à l’heure en présence de la nature hybride et incommensurable