antiques traditions populaires, ce culte éternellement vivace de Dionysos, et qu’il y aurait lieu même, en présence de forces aussi extraordinaires, de faire montre tout au moins d’une sympathie prudente et diplomatique ; auquel cas, il serait encore très possible que le dieu, froissé d’un intérêt aussi tiède, ne métamorphosât finalement le diplomate — tel Cadmus — en dragon. Le poète qui nous parle ainsi est le même qui, pendant le cours d’une longue vie, résista héroïquement à Dionysos — pour en arriver à terminer sa carrière par la glorification de son ennemi, par une sorte de suicide, comme un homme affolé qui se précipite du haut d’une tour pour échapper à l’épouvantable vertige qu’il ne peut plus supporter. Cette tragédie est une protestation contre sa propre tendance ; hélas, déjà elle s’était imposée ! Le prodige était accompli ; lorsque le poète se rétracta, sa tendance avait vaincu. Déjà Dionysos était chassé de la scène tragique, et chassé par une puissance démoniaque dont Euripide n’était que la voix. En un certain sens, Euripide ne fut, lui aussi, qu’un masque : la divinité qui parlait par sa bouche n’était pas Dionysos, non plus Apollon, mais un démon qui venait d’apparaître, appelé Socrate. Tel est le nouvel antagonisme : l’instinct dionysiaque et l’esprit socratique ; et par lui périt l’œuvre d’art de la tragédie grecque. En reniant son passé, Euripide peut essayer maintenant de nous consoler ; il n’y réussit pas. L’incomparable
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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE