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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

ces deux noms étaient accolés, lorsqu’il s’agissait de désigner les corrupteurs du peuple, artisans de la déchéance progressive des forces physiques et morales, de la ruine de l’antique et rude vigueur de corps et d’âme des héros de Marathon, sacrifiée de plus en plus à une douteuse intellectualité. C’est sur ce ton mâtiné d’indignation et de mépris que la comédie d’Aristophane traite habituellement ces deux hommes, au grand scandale des jeunes, qui lui eussent, il est vrai, abandonné volontiers Euripide, mais ne pouvaient se faire à l’idée que Socrate fût représenté par Aristophane comme le sophiste par excellence, le miroir et la somme de toutes les spéculations sophistiques. Il ne leur restait d’autre ressource que de mettre au pilori Aristophane lui-même, comme un Alcibiade de la poésie menteur et libertin. Sans m’attarder à défendre ici les intuitions profondes d’Aristophane, je continuerai à démontrer, par les témoignages du sentiment général de l’antiquité, la stricte homogénéité d’esprit et d’influence de Socrate et d’Euripide. Il est à remarquer notamment que Socrate, en sa qualité de contempteur de l’art tragique, s’abstenait d’assister aux représentations de la tragédie et ne se mêlait aux spectateurs que lorsqu’il s’agissait d’une nouvelle œuvre d’Euripide. Mais l’exemple le plus célèbre de l’association de ces deux noms nous est fourni par l’oracle de Delphes, qui proclama Socrate le plus sage des hommes, et ajouta en même temps