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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

cités entières, à des foules entières assemblées dans les temples ? Quoi ? Si pourtant les Grecs, précisément dans la splendeur première de leur jeunesse, avaient eu le besoin du tragique et avaient été pessimistes ? Si, pour employer une parole de Platon, le délire avait été justement, pour Hellas, le plus grand des bienfaits ? Et si, d’un autre côté et au contraire, les Grecs, à l’époque même de leur dissolution et de leur déclin, étaient devenus toujours plus optimistes, plus superficiels, plus cabotins, et aussi plus passionnés pour la logique, plus ardents à concevoir la vie logiquement, c’est-à-dire à la fois plus « sereins » et plus « scientifiques » ? Comment ? en dépit de toutes les « idées modernes » et des préjugés du goût démocratique, la victoire de l’optimisme, la raison, dès lors prédominante, le pratique et théorique utilitarisme, aussi bien que la démocratie elle-même, dont il est contemporain, — tout cela ne pourrait-il pas être le symptôme du déclin de la force, de l’approche de la vieillesse et de la lassitude physiologique ? Et non — le pessimisme ? L’optimiste Épicure ne fut-il pas précisément — un malade ? — On le voit, c’est d’un véritable fardeau de graves problèmes que s’est chargé ce livre, — ajoutons encore le plus grave de tous ! Que signifie, considérée au point de la vue de la Vie — la morale ?…