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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

le résultat de son travail serait comblé et anéanti sous ses yeux par le travail de son voisin, de sorte qu’un troisième paraîtrait agir très raisonnablement en choisissant à son gré une place nouvelle pour sa propre tentative. Si l’un d’eux réussit alors à démontrer péremptoirement l’impossibilité d’atteindre par ce moyen l’antipode, qui voudra persister encore au forage du puits primitif, s’il n’a pris le parti, entre temps, de s’accommoder d’y découvrir des gemmes ou des lois de la nature ? C’est pour cela que Lessing, le plus sincère des hommes théoriques, a osé déclarer qu’il trouvait plus de satisfaction à la recherche de la vérité qu’à la vérité elle-même ; et ainsi fut dévoilé, à la surprise, à la grande colère des savants, le secret fondamental de la science. Cependant, à côté de cet aveu isolé, de cet excès de franchise, sinon d’outrecuidance, on constate aussi une illusion profondément significative, incarnée pour la première fois dans la personne de Socrate : cette inébranlable conviction que la pensée, par le fil d’Ariane de la causalité, puisse pénétrer jusqu’aux plus profonds abîmes de l’Être, et ait le pouvoir non seulement de connaître, mais aussi de réformer l’existence. Cette noble illusion métaphysique est l’instinct propre de la science, qui la conduit et la ramène sans relâche à ses limites naturelles, où il lui faut alors se transformer en art, — but réel vers lequel tend cet instinct.

Considérons maintenant Socrate sous cette clarté