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Page:Nietzsche - L’Origine de la Tragédie.djvu/148

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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

sérieux du mot, commence seulement, Richard Wagner a établi, dans son Beethoven, que la musique doit être jugée d’après des principes esthétiques tout différents de ceux dont on peut se servir à l’égard des autres arts plastiques, et surtout ne doit pas être appréciée selon la « catégorie » de la beauté ; encore qu’une esthétique erronée, au service d’un art faux et dégénéré, se soit habituée, sous l’influence de l’idée de beauté propre au monde plastique, à exiger de la musique un effet semblable à celui des œuvres de l’art plastique, c’est-à-dire la production du plaisir aux belles formes.

La constatation de ce prodigieux contraste m’entraîna irrésistiblement à examiner de plus près l’essence de la tragédie grecque et, partant, la manifestation la plus profonde du génie hellénique. Car, seulement alors, j’eus conscience de posséder le talisman idoine, au mépris de la phraséologie de notre esthétique courante, à évoquer, incarné devant mon âme, le problème fondamental de la Tragédie. La vision de l’Hellénisme qu’il me fut ainsi donné de percevoir fut si étrange, si particulière, que je me vis obligé d’en conclure que, nonobstant la morgue de ses façons, notre science hellénique classique semble jusqu’ici s’être exclusivement amusée d’un spectacle d’ombres chinoises et accommodée d’apparences superficielles.

Nous pourrions peut-être aborder ce problème fondamental en nous demandant : quel effet esthé-