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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

des Grecs, cette puissance même de la musique, nous l’eussions éprouvée exclusivement comme telle ; tandis que dans la musique grecque à son apogée, — comparée à l’art infiniment plus riche qui nous est familier, — nous croyons seulement entendre le chant d’adolescent du génie de la musique, entonné d’une voix mal assurée. Les Grecs sont, comme disent les prêtres égyptiens, les éternels enfants, et, aussi dans l’art tragique, ils ne sont que des enfants qui ne savent pas quel jouet sublime s’est formé entre leurs mains — et y sera brisé.

Cette aspiration du génie de la musique à une manifestation plastique et mythique, qui va croissant des commencements de l’art lyrique à la tragédie attique, tombe tout à coup, juste aussitôt après un superbe épanouissement, et disparaît, pour ainsi parler, de la surface de l’art hellénique ; tandis que la conception dionysienne du monde, engendrée par cette aspiration, se perpétue dans les Mystères, et, dans ses plus extraordinaires métamorphoses ou dégénérations, n’arrête pas d’attirer à soi les natures les plus sérieuses. Ne surgira-t-elle pas quelque jour, sous forme d’art, de ses profondeurs mystiques ?

Ici se pose pour nous la question de savoir si la puissance antagoniste, dont l’action causa la perte de la tragédie, possède à tout jamais une force suffisante pour empêcher le réveil artistique de la