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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

presque effrayante fait qu’ici pendant un long temps, l’homme cultivé ne fut reconnu tel que sous la forme de l’homme instruit. Notre art de la poésie lui-même est né d’imitations érudites, et dans l’effet prépondérant de la rime, nous retrouvons le témoignage de la constitution de notre forme poétique à l’aide d’expérimentations artificielles sur une langue non familière, une langue bien pertinemment savante. Combien resterait incompréhensible à un véritable Grec le type, compréhensible en soi, de l’homme cultivé moderne, Faust, épuisant sans être assouvi jamais tous les domaines de la connaissance, adonné à la magie et voué au diable par la passion de savoir, ce Faust qu’il nous suffit de comparer à Socrate pour constater que l’homme moderne commence à pressentir la faillite de cet engouement socratique pour la connaissance, et qu’au milieu de l’immensité solitaire de l’océan du savoir il aspire à un rivage. Lorsque Gœthe, à propos de Napoléon, déclare un jour à Eckermann : « Oui, mon ami, il y a aussi une productivité des actes », il rappelle ainsi, d’une manière charmante et naïve, que l’homme non théorique est, pour les hommes modernes, quelque chose d’invraisemblable et de déconcertant, de sorte qu’il faut encore une fois la sagesse d’un Gœthe pour concevoir, oui, pour excuser un mode d’existence aussi insolite.

Et l’on ne doit plus se dissimuler désormais ce qui est caché au fond de cette culture socratique :