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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

vements indépendants des lignes mélodiques, pour la plus grande netteté de la ligne prépondérante, le mélange combiné de ces lignes nous fait entendre une succession d’harmonies qui traduit, avec la plus délicate fidélité, les péripéties de l’action. Par cette polyphonie, les rapports des choses nous deviennent immédiatement perceptibles, et cela non pas d’une façon abstraite, mais d’une manière matériellement sensible, de même que nous reconnaissons aussi par elle que seulement dans ces rapports peut se manifester dans toute sa pureté la nature essentielle et intime d’un caractère et d’une ligne mélodique. Et pendant que la musique nous force ainsi à voir mieux et plus profondément, et à étendre devant nous le voile de l’action comme un fin tissu de gaze, le monde de la scène est, pour notre œil spiritualisé, pénétrant jusqu’au dedans des choses, aussi infiniment agrandi qu’illuminé par une flamme intérieure. Que pourrait nous offrir d’analogue le poète littéraire qui, à l’aide d’un mécanisme moins parfait de beaucoup, par une voie indirecte, en partant de la parole et de l’idée, s’épuise à atteindre à cet épanouissement en profondeur et à ce rayonnement interne du monde perceptible de la scène ? Et si, à la vérité, la tragédie musicale s’adjoint également la parole, elle peut en même temps aussi montrer juxtaposées la cause fondamentale occulte et l’occasion génératrice de la parole et, par le rayonnement d’une lumière inté-