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Page:Nietzsche - L’Origine de la Tragédie.djvu/204

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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

ment superficielle, mais avaient aussi le pouvoir de pénétrer au plus profond des choses, comme si les effervescences de la Volonté, la lutte des motifs, le torrent débordant des passions, lui étaient devenus, pour ainsi dire, matériellement perceptibles, visibles en une abondance de lignes et de figures mobiles et vivantes, et qu’il lui fût possible ainsi de savourer la plus mystérieuse subtilité d’émotions inéprouvées. En même temps qu’il prend conscience de l’incomparable exaltation de ses instincts de clarté et de transfiguration, il a cependant l’impression non moins précise que cette longue suite d’effets artistiques apolliniens ne donne pas naissance à cette bienheureuse et immuable absorption dans la contemplation dénuée de Volonté que produisent chez lui les créations de l’artiste plastique et du poète épique, ces artistes proprement apolliniens : c’est-à-dire le sentiment d’atteindre dans cette contemplation à la justification du monde de l’individuation, en tant que celui-ci est le but et la substance de l’art apollinien. Il contemple le monde transfiguré de la scène, et cependant il le nie. Le héros tragique lui apparaît avec une netteté et une beauté épiques, et cependant il se réjouit de son anéantissement. Il conçoit jusqu’au sens le plus profond de l’action scénique et prend plaisir à se réfugier dans l’inconcevable. Les actes du héros sont pour lui justifiés, et cependant il est exalté plus encore lorsque ces actes anéantissent