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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

espoir est bien plutôt de reconnaître que, sous l’inquiétude et le désarroi de notre vie civilisée, sous les convulsions de notre culture, une force primordiale est cachée, superbe, foncièrement saine, qui, certes, ne se manifeste puissamment qu’à des moments exceptionnels, pour s’assoupir ensuite et rêver encore d’un réveil futur. De cet abîme est sortie la Réforme allemande et dans ses chorals résonna pour la première fois la mélodie de l’avenir de la musique allemande. Profond, plein d’ardeur et de vie, débordant de bonté et d’infinie délicatesse, le Choral de Luther[1] retentit comme le premier appel dionysiaque traversant un épais taillis, aux approches du printemps. En un écho émulateur lui répondit l’orgueilleux et prédestiné cortège des rêveurs dionysiens auxquels nous sommes redevables de la musique allemande, — et à qui nous devrons la renaissance du mythe allemand !

Je le sais, c’est vers un haut sommet de méditation solitaire, jusqu’où peu seulement le suivront, qu’il me faut à présent entraîner le lecteur qui m’accompagne avec sympathie ; qu’il ne perde pas courage et sache que, pour cette ascension, nous serons soutenus par nos guides radieux, les Grecs. Nous leur avons emprunté jusqu’ici, au profit de nos idées esthétiques, ces deux figures divines qui

  1. « C’est un rempart que notre Dieu »…