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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

mes rapprochés de cet état d’esprit de la manière la plus extravagante. En haut, le même exubérant désir de savoir, le même insatiable bonheur de découvrir quelque chose, l’identique monstrueuse sécularisation ; à côté, on erre à l’aventure comme un vagabond sans patrie, on se presse avidement à des tables étrangères ; c’est une frivole apothéose de l’actualité ou une indifférence aveugle et blasée ; tout sub specie sæculi, du « présent » ; et ces semblables symptômes nous font deviner un vide semblable au cœur de cette culture ; ils nous indiquent l’anéantissement du mythe. Il semble qu’il soit presque impossible de greffer un mythe étranger avec un succès durable sans qu’il en résulte un irrémédiable dommage pour l’arbre inoculé. Celui-ci est quelquefois peut-être assez vigoureux et sain pour expulser cet élément étranger au prix de terribles efforts, mais il lui faut le plus souvent dépérir étiolé misérablement ou épuisé par une croissance hâtive et morbide. Notre confiance est assez haute dans la pure et forte essence intime de l’âme allemande pour oser attendre d’elle cette expulsion d’éléments étrangers implantés par violence, et admettre que l’esprit allemand puisse reprendre conscience de soi-même. Quelques-uns penseront peut-être que cet esprit doive entreprendre la lutte en éliminant tout d’abord l’élément latin ; ils pourraient reconnaître dans la bravoure victorieuse et la gloire sanglante de la dernière guerre une exhortation et un