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Page:Nietzsche - L’Origine de la Tragédie.djvu/221

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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

présentés avec une telle prédilection, toujours de nouveau, sous d’innombrables aspects, et juste au moment le plus juvénil et le plus exubérant de la vie d’un peuple, si de tout ce spectacle même ne résulte pas une joie plus haute ?

Car, que cela se passe en réalité aussi tragiquement dans la vie, c’est ce qui serait le moins idoine à expliquer l’avènement d’une forme artistique, si l’art n’est pas seulement une imitation de la réalité naturelle, mais bien un supplément métaphysique de la réalité naturelle, juxtaposé à elle pour aider à la surmonter. Le mythe tragique, en tant que partie intégrante de l’art, s’emploie pleinement aussi à susciter cette transfiguration qui est le but métaphysique de l’art en général. Mais, que transfigure-t-il en exposant à nos yeux le monde de l’apparence sous la forme du héros malheureux ? Rien moins que la « réalité » de ce monde de l’apparence, puisqu’il nous dit justement : « Voyez ! Regardez bien ! Voilà votre vie ! Voilà l’aiguille qui marque les heures à l’horloge de votre existence ! »

Et c’est afin de la transfigurer devant nous que le mythe montrerait cette vie ? Et si cela n’est pas, en quoi consiste alors la joie esthétique que nous procure aussi le spectacle de ces tableaux ? Je parle de la joie esthétique et je sais fort bien qu’un grand nombre de ces scènes peuvent produire en outre une délectation morale, soit sous la forme de la pitié ou par le triomphe d’une loi sociale. Mais si