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Page:Nietzsche - L’Origine de la Tragédie.djvu/52

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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

la pouvoir conserver, la connaissance de soi-même. Et, ainsi, à l’exigence esthétique de la beauté nécessaire, vient s’ajouter la discipline de ces préceptes : « Connais-toi toi-même ! » et : « Ne vas pas trop loin ! » tandis que l’outrecuidance et l’exagération sont les démons hostiles de la sphère non-apollinienne, et, en cette qualité, appartiennent en propre à l’époque anté-apollinienne, à l’ère des Titans et au monde extra-apollinien, c’est-à-dire au monde barbare. À cause de son titanesque amour de l’humanité, Prométhée dut être déchiré par le vautour ; pour sa trop grande sagesse qui lui fit deviner l’énigme du Sphinx, Œdipe fut entraîné dans un tourbillon inextricable de monstrueux forfaits : c’est ainsi que le dieu de Delphes interprétait le passé grec.

De même, au Grec apollinien, paraissait « titanesque » et « barbare » l’émotion provoquée par l’état dionysiaque : et cela sans qu’il pût pourtant se dissimuler l’affinité profonde qui le rattachait à ces Titans vaincus et à ces héros. Il dut même ressentir quelque chose de plus : son existence entière, avec toute sa beauté et sa mesure, reposait sur l’abîme caché du mal et de la connaissance, et l’esprit dionysien lui montrait de nouveau le fond du gouffre. Et cependant, Apollon ne put vivre sans Dionysos ! Le « titanique », le « barbare » fut, en dernier ressort, une aussi impérieuse nécessité que l’apollinien. Imaginons maintenant comme dut