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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

ment possible de démontrer que toute époque féconde en chansons populaires fut aussi au plus haut point tourmentée par des agitations et des entraînements dionysiens que nous devons toujours considérer comme cause latente et condition préalable de la chanson populaire.

Mais la chanson populaire nous apparaît avant tout comme miroir musical du monde, comme mélodie primordiale qui se cherche une image de rêve parallèle et exprime celle-ci dans le poème. La mélodie est donc la matière première et universelle qui, à cause de cela, peut aussi subir des objectivations diverses en des textes différents. Aussi est-elle, pour le sentiment naïf du peuple, l’élément prépondérant, essentiel et nécessaire. De sa propre substance, la mélodie engendre le poème, et sans cesse elle recommence ; la forme en couplets de la chanson populaire ne signifie pas autre chose, et ce phénomène m’avait toujours rempli d’étonnement jusqu’à ce que j’en eusse enfin trouvé cette explication. Si l’on considère, d’après cette théorie, un recueil de chansons populaires, par exemple « Des Knaben Wunderhorn[1] », on verra par d’innombrables exemples comment, avec une inlassable fécondité, la mélodie fait jaillir autour d’elle, comme une pluie d’étincelles, des images qui, par leur diversité, leurs soudaines métamor-

  1. L’Enfant au cor merveilleux, recueil de chansons populaires allemandes, publié par Arnim et Brentano (1808). — H. A.