Page:Nietzsche - L’Origine de la Tragédie.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

la Volonté, est un pur regard qui contemple, imperturbable et radieux comme l’œil du soleil.

Toute cette explication se rattache étroitement à ce fait, que le lyrisme est aussi absolument dépendant de l’esprit de la musique que la musique elle-même, dans sa pleine liberté, est indépendante de l’image et de l’idée, n’en a pas besoin, mais les tolère seulement à côté d’elle. La poésie de l’artiste lyrique ne peut rien exprimer qui ne soit déjà contenu, avec la plus extraordinaire universalité et perfection, dans la musique qui l’oblige à cette traduction imagée. Aussi est-il impossible au langage d’arriver à épuiser la symbolique universelle de la musique, parce que celle-ci est l’expression symbolique de l’antagonisme et de la douleur originels qui sont au cœur de l’Un-primordial, et qu’elle symbolise ainsi un monde qui plane au-dessus de toute apparence et existait avant tout phénomène. Comparée à elle, toute apparence n’est que symbole : c’est pourquoi le langage, comme organe et symbole des apparences, n’a jamais pu et ne pourra jamais manifester extérieurement l’essence intime la plus profonde de la musique ; bien au contraire, lorsqu’il se tourne vers l’imitation de la musique, il n’a jamais avec celle-ci qu’un contact superficiel, et toute l’éloquence lyrique est absolument impuissante à nous révéler le sens le plus profond de la musique.