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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

munément exigée de la poésie dramatique. Alors que, sur le théâtre, le jour lui-même n’est qu’artificiel, que l’architecture est symbolique, et que le langage métrique revêt un caractère idéal, sur l’ensemble règne encore la fiction, l’erreur : ce ne serait pas assez de ne tolérer qu’en tant que licence poétique ce qui est véritablement l’essence de toute poésie. L’introduction du chœur est l’acte décisif par lequel fut loyalement et ouvertement déclarée la guerre à tout naturalisme dans l’art. — C’est, je crois, à cette manière de voir que notre époque soi-disant supérieure a appliqué l’épithète dédaigneuse de « pseudo-idéalisme ». Je crains qu’en revanche, avec notre actuelle vénération du naturel et du réel, nous ne soyons arrivés aux antipodes de l’idéalisme, c’est à-dire dans la région des musées de figures de cire. Dans celles-ci aussi il y a de l’art, comme il y en a dans certains romans contemporains en vogue, mais qu’on ne vienne pas nous obséder en prétendant que le « pseudo-idéalisme » de Schiller et de Goethe soit surpassé par cet art.

Certes, c’est un domaine « idéal » que celui dans lequel, selon le juste sentiment de Schiller, le chœur de satyres grec, le chœur de la tragédie primitive, a coutume d’évoluer ; une sphère élevée, planant bien haut, au-dessus des chemins de la réalité où errent les mortels. Le Grec s’est bâti, pour ce chœur, l’échafaudage aérien d’un ordre naturel imaginaire