Page:Nietzsche - L’Origine de la Tragédie.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
75
L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

tence ; il comprend maintenant ce qu’il y a de symbolique dans le sort d’Ophélie ; maintenant il reconnaît la sagesse de Silène, le dieu des forêts : le dégoût lui monte à la gorge.

Et, en ce péril imminent de la volonté, l’art s’avance alors comme un dieu sauveur, apportant le baume secourable : lui seul a le pouvoir de transmuer ce dégoût de ce qu’il y a d’horrible et d’absurde dans l’existence en images idéales, à l’aide desquelles la vie est rendue possible. Ces images sont le sublime, où l’art dompte et assujettit l’horrible, et le comique, où l’art nous délivre du dégoût de l’absurde. Le chœur de satyres du dithyrambe fut le salut de l’art grec ; les accès de désespoir évoqués tout à l’heure s’évanouirent grâce au monde intermédiaire de ces compagnons de Dionysos.

8.

Le satyre, et aussi le berger de notre idylle moderne, sont tous deux le résultat d’une aspiration vers l’état primitif et naturel ; mais avec quelle ferme assurance le Grec s’empara de son homme des forêts, et quelle puérilité, quelle fadeur affiche le moderne niaisant devant la silhouette pomponnée d’un berger gracieux, sensible et jouant de la flûte ! La nature, indemne encore de toute atteinte de la connaissance, et que le contact d’aucune civilisation n’a violée, — voilà ce que le Grec voyait dans son