Mais il faut toujours avoir présent à l’esprit que le public de la tragédie attique se retrouvait lui-même dans le chœur de l’orchestre, qu’il n’existait au fond aucun contraste, aucune opposition entre le public et le chœur : car tout cela n’est qu’un grand chœur sublime de satyres chantant et dansant, ou de ceux qui se sentaient représentés par ces satyres. Le mot de Schlegel doit être entendu ici dans un sens plus profond. Le chœur est le « spectateur idéal » pour autant qu’il est l’unique voyant, le voyant du monde de vision de la scène. Un public de spectateurs, tel que nous le connaissons, était inconnu aux Grecs : dans leurs théâtres, grâce aux gradins superposés en arcs concentriques, il était tout particulièrement facile à chacun de faire abstraction de l’ensemble du monde civilisé ambiant, et, en s’abandonnant à l’ivresse de la contemplation, de se figurer être soi-même un des personnages du chœur. D’après ce point de vue, nous pouvons nommer le chœur, sous sa forme primitive dans la tragédie originelle, l’image réfléchie de l’homme dionysien lui-même, et ce phénomène ne peut être plus nettement rendu sensible que par l’exemple de l’acteur qui, lorsqu’il est véritablement doué, voit flotter devant ses yeux l’image quasi matérielle du rôle qu’il interprète. Le chœur de satyres est, avant tout, une vision de la foule dionysienne comme, à son tour, le monde de la scène est une vision du chœur de satyres :
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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE