Page:Nietzsche - La Généalogie de la morale.djvu/106

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

secret de salut, ni pour l’homme naïf des anciens temps qui savait interpréter toute douleur par rapport au spectateur ou au bourreau, un pareil manque de signification n’existait. Pour pouvoir chasser du monde la douleur cachée, irrévélée et sans témoins, pour pouvoir la nier de bonne foi, on fut alors presque obligé d’inventer des dieux et des créatures intermédiaires à tous les degrés des hauteurs et des profondeurs, bref quelque chose qui erre même parmi les choses cachées, qui regarde dans les ténèbres et qui ne manque guère un spectacle intéressant et douloureux. À l’aide de pareilles inventions la vie parvint à accomplir le tour de force dont elle fut de tous temps coutumière, le tour de force de se justifier son propre « mal » ; de nos jours il faudrait peut-être se servir pour cela d’autres inventions (par exemple, faire de la vie une énigme, un problème de la connaissance). « Tout mal est justifié du moment qu’un dieu se complaît à le regarder » : ainsi parle l’ancienne logique du sentiment — et, à tout prendre, n’était-ce vraiment que la logique ancienne ? Les dieux tenus pour amateurs de spectacles cruels — en combien d’endroits cette notion primitive perce encore au milieu de notre humanisation européenne ! qu’on se renseigne par