Page:Nietzsche - La Généalogie de la morale.djvu/219

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malade se soumet et s’apprivoise. Du reste, il ne défend pas mal son troupeau malade, cet étrange berger, — il va jusqu’à le défendre contre lui-même, contre la dépravation, la malice, l’esprit de révolte qui éclate dans le troupeau, contre toutes les affections particulières aux malades et aux souffreteux quand ils sont réunis ; il lutte habilement et rudement, mais sans bruit, contre l’anarchie et les germes de dissolution menaçant toujours le troupeau, où cette dangereuse matière explosive, le ressentiment, s’amasse sans cesse. Se débarrasser de cette matière explosive sans qu’elle fasse sauter ni le troupeau, ni le berger, tel est son vrai tour de force, et c’est en cela surtout qu’il trouve son utilité. Si l’on voulait résumer en une courte formule la valeur de l’existence du prêtre, il faudrait dire : le prêtre est l’homme qui change la direction du ressentiment. En effet, tout être qui souffre cherche instinctivement la cause de sa souffrance ; il lui cherche plus particulièrement une cause animée, ou, plus exactement encore, une cause responsable, susceptible de souffrir, bref, un être vivant contre qui, sous n’importe quel prétexte, il pourra, d’une façon effective ou en effigie, décharger sa passion : car ceci est, pour l’être qui souffre, la suprême tenta-