Page:Nietzsche - La Généalogie de la morale.djvu/257

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réalité, n’aurait évidemment foi qu’en elle-même, aurait évidemment seule le courage, la volonté d’elle-même, et jusqu’ici aurait fort bien su se passer de Dieu, de l’au-delà et des vertus négatives. Cependant tout ce tapage et ce bavardage d’agitateurs ne fait pas la moindre impression sur moi : ces trompettes de la réalité sont de piètres musiciens, leurs voix ne sortent pas assez intelligibles des profondeurs, ils n’expriment pas l’abîme qu’il y a dans la conscience scientifique car aujourd’hui la conscience scientifique est un abîme — le mot « science », dans les gueules de pareils tapageurs, est simplement un abus et un attentat à la pudeur. Prenez le contrepied de ce qu’ils disent et vous aurez la vérité : la science aujourd’hui n’a pas la moindre foi en elle-même, elle n’aspire pas à un idéal élevé, — et là où il lui reste encore de la passion, de l’amour, de la ferveur, de la souffrance, là encore, bien loin d’être l’antithèse de cet idéal ascétique, elle n’en constitue que la forme la plus nouvelle et la plus noble. Cela vous paraît-il étrange ?… Il est vrai qu’il y a parmi les savants d’aujourd’hui pas mal de braves gens travailleurs et modestes, à qui plaît leur petit coin retiré et qui, parce qu’ils s’y sentent à l’aise élèvent parfois la