Page:Nietzsche - La Généalogie de la morale.djvu/262

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que jamais ordre monastique n’en connut de pareille, ils obtinrent, je ne sais par quelle voie, quelques indications sur le fameux symbole, sur ce principe essentiel dont la connaissance était réservée aux dignitaires supérieurs, seuls déposi­taires de cet ultime secret : « Rien n’est vrai, tout est permis »… C’était là de la vraie liberté d’esprit, une parole qui mettait en question la foi même en la vérité… Aucun esprit libre euro­péen, chrétien, s’est-il jamais égaré dans le mys­tère de cette proposition, dans le labyrinthe de ses conséquences ? connaît-il par expérience le minotaure de cette caverne ?… J’en doute, ou, pour mieux dire, je sais qu’il en est autrement : — rien n’est plus étranger à ces soi-disant esprits libres, à ces esprits absolus sur un seul point, que la liberté, l’affranchissement de toute entrave, entendu dans ce sens ; les liens les plus étroits sont précisément ceux qui les attachent à la foi en la vérité, personne plus qu’eux n’y est plus solidement enchaîné. Je connais tout cela, de trop près peut-être : cette louable abstinence philosophique qu’ordonne une telle foi, ce stoïcisme intellectuel qui finit par s’interdire tout aussi sévèrement le « non » que le « oui », cette immobi­lité voulue devant la réalité, devant le factum brutum,