Page:Nietzsche - Le Cas Wagner (trad. Halévy et Dreyfus).djvu/25

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une autre gaieté. Cette musique est gaie ; mais non pas d’une gaieté française ou allemande. Sa gaieté est vraiment africaine ; la fatalité est en elle, la joie y est de courte durée, soudaine, sans rémission. Bizet est enviable pour avoir eu le courage de cette sensibilité qui n’avait pas jusqu’alors trouvé d’expression dans la musique de l’Europe civilisée, — je veux dire cette sensibilité méridionale, cuivrée, ardente… Quel plaisir nous font éprouver ses après-midi dorées de bonheur ! Si nous contemplons l’horizon, vîmes-nous jamais la mer plus unie ? — Et comme la danse mauresque s’adresse à nous en nous apaisant ! Et comme sa mélancolie lascive parvient à satisfaire nos désirs toujours insatisfaits ! — Enfin l’amour, l’amour revêtu par la nature ! Non pas l’amour d’une « noble jeune fille ! » Pas de larmoyante sentimentalité ! Mais l’amour dans ce qu’il a de fatal, d’effrayant, de cynique, de candide, de farouche, — et voilà justement la Nature ! L’amour dont la guerre est le moyen, dont la haine mortelle des sexes est la base ! — Je ne sais pas de circonstance où l’esprit tragique, qui est l’essence de l’amour, s’exprime avec une semblable âpreté, revête