Page:Nietzsche - Le Crépuscule des Idoles - Le Cas Wagner - Nietzsche contre Wagner - L'Antéchrist (1908, Mercure de France).djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
274
L’ANTÉCHRIST


dénaturation. Primitivement, surtout du temps des rois, Israël se trouvait, à l’égard de toutes choses, dans un rapport juste, c’est-à-dire naturel. Son Javeh était l’expression du sentiment de puissance, de la joie en soi, de l’espoir en soi : c’est en lui que l’on espérait la victoire et le salut, avec lui que l’on attendait avec confiance que la nature donne ce que le peuple désire, avant tout de la pluie. Javeh est le Dieu d’Israël, donc le Dieu de la justice. Il est la logique de tout peuple qui possède le pouvoir et qui en a la conscience tranquille. Dans le culte solennel s’expriment ces deux côtés de l’affirmation d’un peuple : il est reconnaissant pour les grandes destinées qui l’élevèrent à la domination, il est reconnaissant pour la régularité dans la succession des saisons et pour tout le bonheur dans l’élevage et l’agriculture. — Cet état de choses demeura longtemps encore sous forme d’idéal, même lorsqu’il prit fin d’une triste manière : l’anarchie à l’intérieur, l’Assyrien à l’extérieur. Mais le peuple garda, comme sa plus haute aspiration, cette vision d’un roi qui est un bon soldat et un juge sévère : vision propagée avant tout par ce prophète-type (critique et satiriste du moment) Ésaïe. — Cependant tous les espoirs restèrent inaccomplis. Le Dieu ancien ne pouvait plus rien de ce qu’il avait pu jadis. On aurait dû l’abandonner. Qu’arriva-t-il ? On transforma, on dénatura la notion de Dieu : c’est à ce prix-là que l’on put le garder. Javeh, le Dieu de la « justice », n’est plus un avec Israël, l’expression du sentiment de la dignité nationale : ce n’est plus qu’un Dieu, conditionnel… Sa notion devient un instrument dans les mains d’agitateurs sacerdotaux, qui mainte-