Page:Nietzsche - Le Crépuscule des Idoles - Le Cas Wagner - Nietzsche contre Wagner - L'Antéchrist (1908, Mercure de France).djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
84
NIETZSCHE CONTRE WAGNER

fois avec tant de perfection que je préfère maintenant lire Schopenhauer en français (— il ne fut allemand que par hasard, comme je ne le suis moi-même qu’accidentellement — les Allemands manquent de doigté pour nous, ils n’ont d’ailleurs pas de doigts du tout, ils n’ont que des pattes). Je ne parle pas de Henri Heine — l’adorable Heine, comme on dit à Paris, — qui a passé depuis longtemps dans la chair et le sang des lyriques parisiens les plus délicats et les plus précieux. Que ferait le bétail cornu allemand avec les délicatesses d’une pareille nature ! Pour ce qui en est enfin de Richard Wagner, plus la musique française s’adaptera aux exigences réelles de l’âme moderne, plus, on peut le prétendre, elle wagnérisera, — elle le fait déjà bien assez ! Il ne faut pas se laisser tromper à cet égard par Wagner lui-même — ce fut une véritable mauvaise action de la part de Wagner de se moquer de Paris, pendant son agonie en 1871… En Allemagne, malgré cela, Wagner n’est qu’un mal entendu : qui serait par exemple, moins capable de comprendre quelque chose à Wagner que le jeune empereur ? Néanmoins, pour tout connaisseur du mouvement de la culture en Europe, le fait n’en demeure pas moins certain que le romantisme français et Richard Wagner sont liés étroitement. Tous dominés par la littérature, qui imprégnait jusqu’à l’œil des peintres et l’oreille des musiciens, ils furent les premiers artistes qui aient eu une culture littéraire universelle —, presque tous écrivains ou poètes eux-mêmes, maniant presque tous plusieurs arts et plusieurs sens, et les interprétant l’un par l’autre ; tous fana-