Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/126

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moder à sa façon ? Ne devons-nous pas avoir le droit d’insuffler notre âme à ce cadavre ? Car enfin il est mort et tout ce qui est mort est si laid ! » — Ils ne connaissaient pas la jouissance du sens historique, le passé et l’étranger leur était pénible, et pour eux, en tant que Romains, c’était là une incitation à une conquête romaine. En effet, traduire c’était alors conquérir, — non seulement en négligeant l’historique : bien plus, on ajoutait une allusion à un événement contemporain, et, avant tout, on effaçait le nom du poète pour mettre le sien en place — on n’avait pas à cause de cela le sentiment du vol, on agissait, au contraire, avec la meilleure conscience de l’imperium Romanum.

84.

De l’origine de la poésie. — Les amateurs du fantastique chez l’homme, qui représentent en même temps la doctrine de la moralité instinctive, raisonnent ainsi : « En admettant que l’on ait vénéré de tout temps ce qui est utile comme divinité supérieure, d’où a bien alors pu venir la poésie ? — cette façon de rythmer le discours qui, loin de favoriser l’intelligibilité de la communication, en diminue plutôt la clarté et qui, malgré cela, comme une dérision à toute convenance utile, a levé et lève encore sa graine partout sur la terre ! La sauvage et belle déraison vous réfute, oh ! utilitaires ! C’est précisément la volonté d’être une fois délivré de l’utilité qui a élevé l’homme, qui lui a inspiré la moralité et l’art ! » — Eh bien ! dans ce cas par-